Suite à la publication des données sur l’immigration pour l’année 2020 par le ministère de l’Intérieur le 21 janvier 2021, Désinfox-Migrations a organisé un point presse visant à décrypter ces données afin d’éviter des erreurs de lecture et prévenir les infox dans leur utilisation.

Quatre chercheur.ses et expert.es ont été invité.es pour répondre aux questions de l’équipe de Désinfox-Migrations et de plusieurs journalistes convié·es au point presse en ligne.

Ce qu'il faut retenir en 4 points.

Toutes les données relatives à l’immigration sont à la baisse, avec des variations :

Il est important de mettre les statistiques des demandes (de titres, de visas, d’asile) en parallèle avec les statistiques de refus : baisse du taux de protection de l’OFPRA de 23 % à 20 % et hausse de 16 % à 19 % de refus de délivrance des visas (tendance à la hausse depuis plusieurs années).

Précision enfin que ces données 2020 sont provisoires et seront affinées et consolidées dans les prochains mois. Une publication mi-2021 devrait venir préciser ces données.

2. Ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas (encore) des facteurs expliquant cette baisse. par Juliette Dupont et Catherine Wihtol de Wenden

En 2020, le covid-19 a eu deux conséquences majeures sur le séjour et l’admission des personnes étrangères en France :

Si la crise sanitaire a eu un impact fort sur les flux migratoires en 2020, on ne mesure pas encore les effets de long terme sur les facteurs de mobilité. Ces derniers sont souvent l’objet d’idées reçues.

Catherine Wihtol de Wenden rappelle que le manque d’espoir et la perception du danger dans le pays d’origine sont les facteurs déterminants dans le choix du départ plutôt que la pauvreté. Ce ne sont jamais les plus pauvres qui migrent car il faut avoir des ressources financières pour entreprendre un projet migratoire. Il faut aussi avoir un capital social, des connaissances, des réseaux dans le pays de destination. L’accès à l’information et aux médias et réseaux sociaux contribuent aussi à l’imaginaire migratoire. Enfin rappelons que plus les frontières sont fermées, plus l’économie du passage de ces frontières se développe.Catherine Wihtol de Wenden, panéliste, spécialiste des phénomènes migratoires éclaire sur les les tendances de ces données du Ministère  

3. Quels sont les points de vigilance dans la lecture des données produites par le ministère de l’Intérieur ? par Gérard Bouvier et Laurent Delbos

Deux faits majeurs sont à prendre en considération pour comprendre les données publiées par le ministère de l’Intérieur :

Sur les titres de séjour 

Les données publiées le 21 janvier 2021 reflètent essentiellement le bilan d’activité de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur et ne représentent pas les flux migratoires « immigration » vers la France, ni même ces flux limités aux origines extra-européennes.

La délivrance de « premiers titres » est trop souvent présentée comme la mesure de l’immigration, or :

Il y a parfois incompréhension, voire suspicion d’erreurs lorsque l’on confronte les données de l’Insee et, par exemple, celles du ministère de l’Intérieur. En effet, l’Insee publie une estimation du nombre d’immigrés résidant en France (6,5 millions en 2018), ce nombre augmente de 100 à 150 000 par an. L’Insee publie aussi un « solde migratoire », de l’ordre de 50 à 100 000. L’explication de ces divergences tient simplement à la prise en compte de l’émigration. Voir l’article publié par Désinfox-Migrations décryptant le solde migratoire français.

Sur les statistiques de l’asile 

C’est important de bien faire cette distinction pour faire des comparaisons d’une année sur l’autre, d’autant qu’avant 2015, il n’y avait pas de système d’information en Préfecture pour faire permettre cette remontée de données. Pour des comparaisons au-delà de cinq ans, il faut donc uniquement comparer les données OFPRA entre elles.

4. Mettre en perspective les données françaises. par Laurent Delbos et Catherine Wihtol de Wenden 

À l’échelle européenne

Bien qu’on ne dispose pas encore des statistiques européennes sur la migration et l’asile pour 2020 pour pouvoir affiner la comparaison, la mise en perspective avec les évolutions de tendance à l’échelle européenne est essentielle.

Sur l’asile, les comparaisons européennes sont faussées car la France ne transmet pas les bonnes données à Eurostat. Jusqu’à 2019, la France transmettait des données OFPRA et non pas des données préfecture, c’est-à-dire ne prenant pas en compte les demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin. Les données disponibles ne nous permettent pas de dire à ce stade si cela a été rectifié par la France lors du partage des données de 2020 à Eurostat.

Par ailleurs, il faut être prudent en matière de comparaison sur les décisions car les situations (notamment au regard des principales nationalités des demandeurs) sont parfois très différentes selon les États et les décisions de protection ne sont pas toutes de même nature, avec notamment plusieurs Etats importants qui délivrent des titres de séjour humanitaires au terme de la procédure d’asile, en plus des statuts de réfugié et bénéfice de la protection subsidiaire.

À l’échelle internationale

Les statistiques internationales publiées à dans le rapport annuel des Nations unies (UNDESA) permettent de déconstruire plusieurs idées reçues. Par exemple, les personnes migrantes se déplacent majoritairement à l’échelle régionale beaucoup plus que transcontinentale. Cependant, plusieurs points de vigilance sont également à observer dans l’interprétation de ces statistiques :

Dans la perspective des prochaines élections présidentielles, une vigilance renforcée des citoyens vis-à-vis de l’utilisation politique des chiffres de l’immigration est nécessaire.

Un grand merci pour leurs contributions à ce décryptage à Gérard Bouvier, administrateur de l’Insee, statisticien spécialiste des statistiques migratoires ; Laurent Delbos, chef du plaidoyer pour l’association Forum réfugiés-Cosi, juriste expert des politiques d’asile française et européenne ; Juliette Dupont, doctorante en sciences politiques au Centre de Recherches et Etudes Internationales à l’Université de Montréal ; et Catherine Wihtol de Wenden, Politiste, spécialiste des migrations internationales et directrice de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po).