Désinfox #12

Deux fois par an (janvier et juin), le ministère de l’intérieur diffuse sa « Publication des Statistiques annuelles en matière d’immigration, d’asile et d’acquisition de la nationalité française ». Ces chiffres sont souvent commentés comme ceux de l’immigration. Or, comme expliqué dans cet article précédent, il s’agit d’une approximation. Ces chiffres constituent plutôt un bilan de l’activité du ministère de l’intérieur. Au-delà des chiffres de 2019 (parfois plus anciens), cet article vient préciser ce qu’ils signifient et ce sur quoi le ministère communique (ou pas).

Les données brutes sont disponibles en ligne, sous forme de courtes notes composées principalement de quelques graphiques, tableaux et de tableurs Excel. Un rapport annuel, adressé au Parlement, détaille davantage les données et actions du ministère. Mais le décalage temporel est important : le dernier rapport paru, rendu public en août 2019, ne comporte que les données de 2017 (parfois indiquées sous statut provisoire). Il n’y a donc pas d’évaluation, même seulement comptable, de l’action du gouvernement depuis l’alternance politique de 2017, a fortiori d’évaluation de la loi Asile-Immigration-Intégration de 2018. En revanche, on y trouvera des indications intéressantes sur les effets de la loi précédente, de 2015.

Ce qu’il y a derrière la « primo-délivrance » des titres de séjour

Dans les chiffres publiés en 2019, Le ministère met particulièrement en avant la « primo-délivrance de titres ». Il s’agit des titres de séjour délivrés « pour la première fois ». Les récipiendaires peuvent avoir bénéficié auparavant de visas, d’un statut de demandeur d’asile … mais c’est la première fois qu’on leur octroie un titre dont la validité excède un an. On y rajoute les titres délivrés aux étudiants, y compris ceux octroyés pour une année scolaire. Or, cette dernière catégorie ne relève pas de l’immigration selon l’OCDE (Perspectives 2019 sur les migrations). Si l’immigration estudiantine est mise en avant par le ministère de l’Intérieur, c’est surtout en raison de sa croissance, qui serait un signe d’attractivité de la France. Encore faudrait-il préciser qui sont ces étudiants (voir la répartition). A l’inverse, la délivrance de titres pour le motif « familial » stagne aux alentours de 90 000 titres par an. Pourtant, et bien que le gouvernement communique peu sur ce point, les personnes qui obtiennent un titre au motif « familial » seront rapidement actives (Etude migrants premières années en France).

Concernant l’immigration professionnelle qualifiée, il est dûment souligné dans le communiqué de presse du ministère que « près de 32 000 titres passeports et talents », donc attribués à des immigrés très qualifiés, ont été délivrés en 2019. En réalité, seuls 12 000 titres sont des primo-délivrances, le reste correspondant au renouvellement de titres de personnes déjà présentes en France. Par ailleurs, près de 25 000 titres au motif économique sont délivrés à des travailleurs, souvent au titre de la régularisation et après de nombreuses années passées en France sous des statuts incertains et précaires (voir l’étude sur l’insertion professionnelle des primo-arrivants ).

La délivrance de la nationalité, indicateur d’intégration ?

Le ministère ne met qu’en quatrième et dernière position de son communiqué les données de la délivrance de la nationalité française. Celle-ci est en baisse en 2019 et reste à un niveau bien inférieur à celui des années 2005–2010. Il s’agit pourtant, selon les termes du ministère, d’une politique « phare » d’intégration. Les données relatives à l’intégration ne figurent pas dans la publication et sont peu mises en valeur dans le rapport 2017 au Parlement. On y lit par exemple, page 140, que le nombre de contrat d’intégration républicaine signés baisse, bien que la délivrance de titres soit en hausse. Les effets de la loi de 2015 sont visibles : attribution de cours de français à une plus large part des primo-arrivants, mais avec une réduction de plus de moitié du volume d’heure consacré à chaque bénéficiaire.

Cette réduction de l’effort d’aide à l’intégration, couplé à un renforcement des exigences de maîtrise du français, devrait accélérer la diminution déjà importante (- 25% depuis 2016) des acquisitions par décret, principal mode d’obtention de la nationalité (voir notre précédent article sur la naturalisation).

Ainsi, ces statistiques, à partir desquelles le gouvernement promeut son « bilan », ne permettent pas réellement d’alimenter le débat public.