Désinfox #17

Non, il n’y a pas d’immigration massive en France

De nombreuses personnalités politiques, à droite et à l’extrême droite, s’expriment régulièrement pour dénoncer « l’immigration massive » vers la France. Or, la plupart des démographes ont depuis longtemps démontré, données à l’appui, que ça n’est pas le cas, a fortiori dès lors que les statistiques sont mises en perspective, dans le temps et à l’échelle européenne.  

Le contexte général est celui d’un accroissement des migrations dans le monde : 173 millions de migrants en 2000 et 272 en 2019, selon les Nations unies. L’augmentation en part de la population mondiale, quoique modérée, est également sensible : 2,9 % en 2000 et 3,5 % en 2020 (1). La mondialisation, facilitant la circulation de l’information, des biens, mais aussi des personnes, est le premier moteur de cet accroissement. A l’échelle mondiale, l’Europe est la destination de 30 % des personnes migrantes. 

La France, premier pays d’immigration en Europe jusqu’à la fin des années 2000

Sans être un « nouveau monde », au contraire de l’Amérique du Nord ou de l’Océanie, la France accueille des personnes immigrées depuis (au moins) le début de la révolution industrielle. Depuis, l’apport de la migration à la population française a été continu de sorte que, jusque vers la fin des années 2000, la France était le pays européen ayant le plus de personnes immigrées ou descendantes d’immigrées sur son sol (2).

Durant les deux dernières décennies, trois événements - l’élargissement de l’Union européenne, la crise économique et financière et les conflits au Moyen Orient - ont fortement impacté l’évolution des flux migratoires vers l’Europe sans pour autant impacter significativement la France. En effet, les flux migratoires continus mais modestes vers la France, qui ne peuvent être qualifiés “d’immigration massive”, ont fait faiblement progresser le nombre de personnes immigrées ainsi que leur part dans la population française. 

L’élargissement de 2004 : la France en retrait

L’élargissement de 2004 a déclenché d’importants mouvements au titre de la libre circulation, dans un contexte économique plutôt favorable. Les pays du Sud, Espagne, Portugal, Italie, traditionnellement peu ouverts à la migration le sont devenus. Une forte mobilité de l’Europe orientale vers l’Europe occidentale s’est installée et a changé le visage de l’immigration dans certains pays, comme au Royaume-Uni. En effet, aux côtés de diasporas plus anciennes, comme les diasporas marocaine ou turque, les diasporas roumaine et polonaise se sont constituées. L’ouverture des pays nordiques, amorcée durant la décennie précédente, s’est poursuivie. 

La France est restée en retrait, créant des exceptions à l’élargissement avec le maintien de la nécessité de titres de séjours pour les ressortissants de certains nouveaux États membres.

La France, du fait de l’existence de stabilisateurs automatiques (impôts, prestations sociales), a connu une récession, mais aussi une reprise, moins marquée. Au total, la crise n’a pas vraiment affecté les tendances migratoires et ce, d’autant plus que l’immigration vers la France est structurelle plutôt que conjoncturelle. En effet, elle repose essentiellement sur des accords internationaux, donc pérennes, incluant la régulation de l’immigration familiale ou encore des accords bilatéraux avec les pays du Maghreb. Ainsi, la réduction des flux ne peut se faire qu’en réduisant la délivrance du nombre de visas étudiants ou de titres de séjour liés à l’activité économique (3).

La “crise” de 2014-2016: la demande d’asile en France très modeste

La guerre en Syrie, à partir de 2011, et son impact sur les pays limitrophes ayant accueilli des millions de personnes déplacées durant les premières années du conflit, a véritablement atteint l’Union européenne et ses États membres à partir de 2014. L’Union européenne a reçu 2 millions de demandes d’asile de l’été 2015 à l’automne 2016, la majorité ayant été introduite en Allemagne (voir graphique). 

Toutes les demandes d’asile n’ont pas été acceptées, mais l’apport démographique net a dépassé le million. La gestion des flux des personnes déplacées a été complexe, parfois dramatique, mais, ce qui a été décrit comme une « crise » n’a pas impacté les pays européens de la même manière. La France en particulier a vu le nombre de demandeurs d’asile rester stable autour de 60 000 jusqu’en 2014 puis ce nombre a légèrement augmenté de 10 000 chaque année. Plus qu’une « crise migratoire » c’est surtout une crise politique et une crise de l’accueil à laquelle fait face la France et plus largement l’Europe (4).


Graphique : la primo demande d’asile dans quelques pays de l’Union européenne

Lecture : en août 2016, 86 450 primo demandes d’asile ont été adressées à l’Allemagne.

Commentaire : Pour la plupart des pays, la demande est trop faible pour apparaître sur le graphique. Jusqu’à fin 2020, l’UE comporte 28 pays.

Sources : Eurostat, primo demande d’asile 2014 – 2020, calculs Désinfox-Migrations.


La « crise sanitaire » de 2020-2021 : un recul de la demande d’asile 

S’il est encore tôt pour mesurer l'impact de la crise sanitaire liée au Covid, les données disponibles sur la demande d'asile dans l'Union européenne en 2020 suggèrent un fort ralentissement des mouvements migratoires et une chute de 75 % de la demande d’asile.

Les confinements et fermetures des frontières au printemps 2020, ont conduit certains pays , comme la France, à fermer presque complètement l’accès à la demande d’asile. Si la France a été un peu plus restrictive que d’autres pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Suède ou le Royaume-Uni, elle l’a été moins que des pays comme l’Italie, la Grèce, la Hongrie voire l’Espagne. 

Le recul continu de la France comme pays d’immigration

Durant la décennie 2000 – 2010, la France était encore, en Europe, un pays d’accueil important avec un part des personnes nées à l’étranger de l’ordre de 11 %. Elle est depuis progressivement rentrée “dans la norme”, voire se trouve désormais derrière la plupart des pays d’Europe occidentale. 

A titre de comparaison, en 2019, la Suisse comptait près de 30 % de résidents nés à l’étranger, contre 13 % en France (tableau). L’Allemagne, au-delà de l’accueil de réfugiés, a sensiblement ouvert sa politique migratoire, inversant ainsi son déclin démographique. Les pays nordiques, ou l’Autriche, voire les Pays-Bas, sont devenus des pays également assez ouverts, avec des parts d’immigration allant jusqu’à 20 % de leur population totale. Les pays d’Europe centrale et orientale, comme la Pologne ou la Hongrie, restent globalement fermés à l’immigration.

Tableau : évolution de la part des personnes nées à l’étranger entre 2000 et 2019 dans quelques pays de l’Union européenne et la Suisse.


Lecture : en 2015, 17,2 % des résidents en Autriche sont nés hors d’Autriche.

Sources : Statistiques du département des affaires économiques et sociales des Nations unies, calculs Désinfox-Migrations.

Ainsi, la France n’est plus un pays majeur en termes d’immigration en Europe, du fait de flux récents modestes en comparaison de ses voisins. Sur les vingt dernières années, l’augmentation annuelle du nombre de personnes nées à l’étranger est, en France, d’environ 1,6 pour mille habitants. C’est environ deux fois moins qu’en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni, trois fois moins qu’en Espagne, Autriche, et Suède et presque quatre fois moins qu’en Suisse.

Parler « d’immigration massive » vers la France est donc contraire aux faits.



Notes