Non, le sauvetage des migrants en mer n’entraîne pas d’“appel d’air”

L’arrêt, fin 2014, de l’opération italienne Mare Nostrum (1) de sauvetage des migrant·es en mer Méditerranée a en partie résulté de critiques selon lesquelles ces sauvetages créeraient un « appel d’air ». Les ONG qui ont pris la relève ont été et sont régulièrement sous le feu des mêmes critiques. Mais qu’en est-il au juste ? Décryptage. 

Par Édouard Nkurunziza et Tania Racho 

Les opérations de sauvetages des migrants sont critiquées d’incitatives © SOS Méditerranée 

L'idée de l’appel d’air, appliquée aux opérations de sauvetage en mer, voudrait dire que les flux des migrant·es sont la conséquence de ces opérations. Autrement dit, il n’y aurait pas de migrant·es (ou il y en aurait moins), s’il n’y avait pas de navires de sauvetage des naufragé·es en mer Méditerranée. Par conséquent, d'après ces discours, les naufragé·es sont des victimes de ces opérations de sauvetage. SOS Méditerranée, une des ONG engagées dans ces opérations, et qui sont ciblées par les critiques, a documenté les « fake news » qu’elles comprennent. Elle rétablit les faits à travers un « dossier thématique » (2). 

Francis Vallat, le directeur de cette organisation humanitaire déplore : “Ce qui est grave, c’est qu’elle (cette idée) a toutes les apparences du bon sens, ce qui la rend dangereuse et perverse car elle sert de base à toutes sortes de manipulations vis-à-vis de personnes crédules ou trop pressées pour approfondir” (3).

Un bref aperçu sur ces opérations de sauvetage et sur leur suspension contredit largement l’argument du supposé appel d’air.

L’arrêt des sauvetages n’a pas tari le flux migratoire méditerranéen

Avec la fin de Mare Nostrum, les personnes exilées qui tentaient de traverser la Méditerranée étaient livrées à elles-mêmes. Si l’idée qui sous-tendait cet arrêt était de contenir les flux migratoires, les faits auront toutefois témoigné d’un effet boomerang. Les tentatives de traversée de la Méditerranée par les migrant·es se sont poursuivies voire amplifiées à leurs risques et périls.

Début 2016, des ONG s'engagent en Méditerranée à la rescousse de milliers de migrant·es qui s'y noient régulièrement. Il fallait “sauver des vies face à l’urgence humanitaire”, soutient Francis Vallat, car “la Méditerranée s’était retrouvée sans aucun moyen dédié au sauvetage en haute mer après la fin de l'opération Mare Nostrum” (4).

Le manque de sauvetage n’entraine que l’augmentation des naufrages comme ici en 2015 à l’arrêt de Mare Nostrum où 800 migrants se sont noyés ©Perspective Monde 

La fin des sauvetages dans le cadre de Mare Nostrum n’a pas freiné les flux migratoires, bien au contraire, et les cas de noyade de migrant·es se sont intensifiées. Le HCR, qui réclamait une “opération mare nostrum européenne”(5) déplorait une “hécatombe jamais vue en Méditerranée”.  Au premier trimestre 2015, l’Organisation internationale des migrations avait rapporté en effet quelque 480 migrant·es mort·es en Méditerranée contre 50 dans la même période l’année précédente d'après un article du Monde (6).

Les naufrages se sont multipliés par 30 en 2015, en comparaison avec l'année précédente, sans que cela ne dissuade pour autant de nouveaux·elles migrant·es à s'engager en Méditerranée. En avril, soit 5 mois après la fin de l’opération italienne, entre 500 et 1000 migrant·es ont traversé quotidiennement la Méditerranée en provenance d’Afrique du Nord et des centaines y ont perdu régulièrement la vie car les embarcations de fortune chaviraient systématiquement. Les arrivées en Europe en 2015 ont été 5 fois plus élevées qu’en 2014 (7).

Il paraît clair que les flux migratoires ne sont pas la conséquence ou un effet de la présence des sauveteurs en mer. L'opération humanitaire italienne n’a pas précédé ces flux, c’est plutôt l’inverse, comme ils n’ont pas cessé à sa fin. Loin d’être un frein aux flux, la suspension des sauvetages entraîne simplement l’augmentation des naufrages. De même, comme en Méditerranée, la fermeture des frontières franco-anglaises, à travers notamment les accords du Touquet, n’empêche pas les flux migratoires vers le Royaume Uni, elle conduit à la multiplication des cas de noyade. Les traversées de la Manche par des small boats se multiplient encore aujourd'hui, les naufrages aussi.


Notes