L’intégration des personnes immigrées en France est un sujet récurrent du débat public en France. Or, avant de parler du succès (ou de l’échec) de l’intégration des immigrés en France, posons-nous d’abord la question, de savoir ce qu’est l’intégration. Puis, nous interrogerons ce concept à la lumière des parcours d’enfants syriens et leurs familles exilées en France. 

Par Liyun WAN, Fellow de l’Institut Convergences Migrations

L’une des clés dites d’intégration est la maîtrise de la langue © Depositphotos/Tous droits réservés 

L'intégration de tous et toutes, pas seulement des personnes immigrées

La notion classique de l’intégration, théorisée par Durkheim (1980), désigne les modes d’attachement des individus à la société basés sur leur volonté de « vivre ensemble ». Il entendait ainsi l’intégration comme une fabrique des futurs citoyens et citoyennes. L’intégration concerne tous les citoyens et citoyennes dans la société ; pas seulement les personnes immigrées.

Aujourd’hui, l’usage du terme dans le débat public tend à se réduire aux personnes immigrées et à leurs enfants. L’émergence des politiques d’intégration ne repose pas toujours sur les mêmes significations que celles employées en sociologie. Selon Schnapper (2007, p.21), il faut « distinguer clairement […] les politiques d’intégration (au sens de policy […] ) et le fait sociologique du processus d’intégration ».

Tiberj (2014) a souligné que le processus classique d’intégration des personnes immigrées « se décompose en plusieurs étapes avec successivement l’intégration économique (obtenir un emploi), la maîtrise de la langue, puis le processus d’acculturation qui vise à la maîtrise par l’impétrant des normes, coutumes et valeurs de la société à intégrer et le processus d’ascension sociale ». Ce processus n’est pas linéaire, mais interactif : le succès (ou l’échec) d’un processus d’intégration ne dépend pas seulement de la personne elle-même, mais aussi de la société dans laquelle il/elle cherche à s’intégrer.

Plus de deux siècles d’immigration vers la France

Depuis au moins deux siècles, la France, vue de l’extérieur comme « pays de la liberté et des droits de l’Homme » et prospère, a attiré d’importants flux migratoires de diverses natures : ouvriers agricoles flamands, Polonais dans l’industrie, Russes-blancs, antifascistes italiens puis républicains espagnols, Juifs allemands et d’Europe centrale…

Lors de la forte croissance économique d’après-guerre, les pays européens, dont la France, ont massivement recruté leur main-d’œuvre depuis les anciennes colonies, tandis qu’un million de Pieds-Noirs ont quitté l’Algérie indépendante en 1962.

Après le choc pétrolier des années 1970, l’« intégration des immigrés et leurs descendants » est devenue un sujet polémique, tout comme les politiques publiques d’intégration qui répondent aux « problèmes » des « jeunes de la seconde génération » , eux-mêmes liés aux « problèmes » des quartiers, à l’échec scolaire et au chômage.

Les parcours scolaires d’enfant syriens en France comme témoins des parcours d’exil et d’intégration de leurs familles

Ce constat général s’observe notamment au sujet de familles de réfugiés syriens qui arrivent en France depuis 2011. Parmi une dizaine de familles d’origine populaire (1), les obstacles scolaires rencontrés par les enfants syriens sont surtout liés à leur parcours migratoire : des années interrompues ou non-scolarisées, les effets psychologiques de la guerre et les conditions d’exil ne leur permettent pas d’être évalués puis insérés comme des élèves classiques. L’âge de l’obligation scolaire constitue un seuil de précarité : passé 16 ans, ils sont souvent évalués comme « insuffisant en français »  (2), et orientés vers la voie professionnelle après la seconde.

Asma (3), jeune fille syrienne de 20 ans est arrivée en France en 2015 après deux ans en Turquie. Après 4 ans de rupture scolaire en exil, elle a redoublé son année de Terminale à Strasbourg, obtenu son Bac scientifique, et est aujourd’hui inscrite en licence.

« Quand j’étais au lycée, le conseiller m’a dit "de toute façon, tu n’as pas le niveau".
Les gens qui étaient avec moi en UPE2A (4), ils ont tous fait un bac pro. Tous, sauf moi. »

Le père d’Asma, ouvrier du bâtiment, a insisté pour que tous ses enfants – cinq frères et sœurs – saisissent l’opportunité de faire des études supérieures en France. Selon C. Delcroix (2013), les parents qui se mobilisent pour que leurs enfants réussissent leurs parcours scolaires essaient de leur transmettre le goût des études, le courage dans l’effort, la débrouille, et comment garder le moral. Il s’agit de « ressources subjectives » qui peuvent aider à lever un certain nombre d’obstacles.

« On vient de Damas, en fait, du village à côté. Si maintenant j’étais encore en Syrie, je serais déjà mariée avec des enfants comme mes cousines. Maintenant, je fais des études à l’Université, je veux devenir traductrice, je n’ai jamais osé l’imaginer. »

Le parcours d’Asma montre comment un système scolaire d’évaluation et de sélection peut être présenté comme le premier seuil d’accès aux diplômes, dont les plus valorisés constituent un préalable à l’insertion professionnelle. Les ressources mobilisées par les familles nourrissent des stratégies de résistance à ce système.

Du même âge qu’Asma, Nour est venue en France avec sa famille après 3 ans en Turquie. Elle a perdu trois frères et sœurs et sa mère a perdu une jambe pendant la guerre. À l’âge de 60 ans, son père peine à trouver un travail, malgré plusieurs tentatives. Nour a trouvé un emploi de caissière dans un commerce turc de la ville :

« Je suis heureuse de mon travail. Le plus important est que je peux enfin gagner de l’argent, je peux aider la famille, notre vie s’est améliorée. Je me sens indépendante et forte, j’aurai bientôt mon permis de conduire, notre vie ira de mieux en mieux. »

Parmi ces familles syriennes issues des milieux populaires, les aspirations scolaires ne sont pas homogènes. Certaines familles voient l’école en France comme une opportunité de « faire des études supérieures » pour « avoir un meilleur avenir », voire une possibilité d’ascension sociale, tandis que d’autres se contentent de « trouver rapidement un emploi », de « soutenir la famille » et de « vivre avec respect et dignité ». Cette vision familiale subjective de la « réussite » (5) des enfants est liée à l’ensemble du parcours et de la situation d’une famille. Elle diffère de celle de l’institution scolaire, fondée sur un modèle socioculturel dominant.

Partant de la réussite scolaire, la « réussite d’intégration » et le « niveau d’intégration » relève le point de vue du dominant sur le dominé, et sépare en droit les « immigrés » et les « nationaux ». En recoupant les différents parcours des individus, on remarque à quel point l’usage actuel du terme est limité. Il importe de repenser l’intégration par sa définition sociologique : comment vivent ensemble les individus et les groupes sociaux dans le territoire français ?

Bibliographie

Attias-Donfut, Claudine, et François-Charles Wolff. « La dimension subjective de la mobilité sociale ». Population (French edition), 2001, p. 919‑58.

Brinbaum, Yaël, et Catherine Delcroix. « Les mobilisations familiales des immigrés pour la réussite scolaire de leurs enfants : Un nouveau questionnement sur l’investissement éducatif des milieux populaires ». Migrations Société 164, nᵒ 2 (2016): 73.

Delcroix, Catherine, Ombres et lumières de la famille Nour. Comment certains résistent face à la précarité, 2013 (2001) 3ème édition augmentée, Petite Bibliothèque Payot, Paris

Durkheim, Émile. Éducation et sociologie, 4e éd. Paris, Presses universitaires de France, 1922, ed, 1980.

Schnapper, Dominique. Qu’est-ce que l’intégration ?, Gallimard, 2007.

Tiberj, Vincent, « Intégration », Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie, mis en ligne le 01 décembre 2014. URL :  http://journals.openedition.org/sociologie/2484.

Zeroulou, Zaihia. « Mobilisation familiale et réussite scolaire ». In : Revue européenne des migrations internationales, vol. 1, n°2, Décembre 1985. Générations nouvelles. p. 107–117.



Notes