Désinfox #15

août 2020

Non, la politique française n’est pas attractive envers les étudiant.es étranger.ères 

Fin 2018, le gouvernement a annoncé, dans le cadre du programme « Bienvenue en France » une série de mesures visant explicitement à attirer davantage d’étudiant·es en France, dont celle, particulièrement critiquée, de frais d’inscription différenciés pour les étudiant·es extra-communautaires. Cette vague de mesures, validée par le Conseil d’État le 1er juillet 2020, a déclenché des débats relatifs à la place des migrations étudiantes en France. En particulier, ce programme est parfois critiqué par les tenants d’une politique migratoire restrictive qui le juge incitatif.

Désinfox-Migrations

Mouvement social contre la hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers non européens en France ©AFP 

Les migrations étudiantes sont traditionnellement comptées dans les flux migratoires, bien que cela fasse l’objet de débats (1). Le nombre d’étudiant·es étranger·ères en France a fortement augmenté, passant de 30 000 en 1971 à 365 000 (2) en 2022. De 2008 à 2017 notamment, la délivrance de titres pour les étudiant·es étranger·ères a augmenté d’un peu plus de 50% quand la hausse du nombre de titres au global était de 35% sur cette même période. Depuis 15 ans toutefois, l’augmentation est moins marquée en France que dans d’autres pays de l’OCDE ou « émergents ». Pour preuve, encore 3ème pays d’accueil en 2012 derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, la France s’est fait dépasser par l’Australie en 2012 puis par l’Allemagne en 2017. Elle est en 2022 le 7ème pays d'accueil. De plus, comparativement aux évolutions d’autres flux migratoires observés depuis 10 ans vers la France, le flux d’étudiants augmente moins vite que celui des réfugié·es, mais plus vite que l’immigration économique (l’immigration familiale étant quasiment stable). 

Des recherches récentes se sont intéressées au lien entre politiques migratoires et migrations étudiantes. Les socio-démographes Lama Kabbanji et Sorana Tomas ont ainsi exploré dans la durée, de la fin des années 70 jusqu’à nos jours, les effets pluriels et évolutifs des politiques visant les étudiant·es étranger·ères sur l’évolution des migrations étudiantes (3). Plusieurs résultats de cette recherche sont éclairants pour informer le débat public sur ces sujets et déconstruire certaines idées reçues.

Des migrations étudiantes réduites par les politiques sélectives

D’abord, les auteures contribuent à déconstruire l’idée d’un lien causal exclusif entre politiques migratoires et flux migratoires. Si elles établissent bien un effet des politiques sur les flux, elles précisent que d’autres facteurs entrent en jeu, tels que l’évolution de l’accès à l’éducation ou les incitations à la mobilité dans les pays d’origine. De plus, ce lien causal doit être nuancé : les politiques en direction des étudiant·es étranger·ères sont fluctuantes, faisant alterner des périodes jalonnées de mesures restrictives (imposition d’un visa de long séjour en 1986, en 1993 lois Pasqua en 1993, circulaire Guéant en 2011) et des périodes d’ouverture (entre 1998 et 2003). Ces oscillations se retrouvent en partie dans les évolutions des flux d’étudiant·es étranger·ères en France. En effet, durant la période 1998–2003 l’augmentation est particulièrement forte : +75%. La part de ce motif d’admission a aussi augmenté sensiblement relativement aux autres motifs (professionnel, familial) dans le cadre de politiques de plus en plus sélectives, dont le tournant assumé intervient en 2003 avec la politique dite « d’immigration choisie » visant les travailleurs les plus « qualifiés », mais aussi les étudiant·es les plus « talentueux », par contraste avec une immigration dite « subie » (4).

Les politiques sélectives réduisent les migrations étudiantes en France ©Getty Images/Photo libre de droit  

Néanmoins, et contrairement à l’idée reçue de « submersion migratoire », les auteures soulignent que ces politiques de plus en plus sélectives ont eu pour effet, entre 2003 et 2017, de ralentir l’augmentation des migrations étudiantes par rapport à la période précédente. On observe ainsi certaines fluctuations importantes durant cette période, en particulier du fait de la circulaire Guéant (5), qui a provoqué une baisse notable des premiers titres de séjour accordés, passant de 64 928 en 2011 à 58 857 en 2012, et qui a particulièrement touché les étudiant·es africain·es. Cette analyse inscrit les mesures récentes d’augmentation des frais de scolarité dans la continuité de politiques de plus en plus sélectives ces 15 dernières années. Cette sélectivité est paradoxale car ces mesures sont qualifiées de « politiques d’attractivité » par leurs promoteurs.

Des politiques sélectives qui affectent fortement la composition des migrations étudiantes 

Enfin, au-delà des effets quantitatifs de la sélectivité, ses effets qualitatifs ne doivent pas être perdus de vue. En effet, la sélectivité encore accrue par les mesures récentes, impacte la composition des migrations étudiantes, c'est-à-dire l’origine géographique et sociale des étudiant·es, le type d’établissement fréquenté, leur filière d’étude, ou encore les sources de financements des études.

Les étudiant·es, notamment africain·es, qui effectuent une mobilité internationale en France, sont fortement sélectionnés en fonction de leurs origines sociales (niveau d’études, professions). Ainsi 60 % de ces étudiant·es ont au moins un parent diplômé du supérieur, dont 40 % ont au moins un parent diplômé d’un master ou d’un doctorat. Des taux bien supérieurs à la moyenne dans les pays d’origine, mais aussi en France (6). A contrario, cela veut dire que les étudiant·es étranger·ères sans ressources culturelles ou financières familiales ont aujourd’hui peu de chances de pouvoir étudier en France.

Comme le soulignent les auteures, si cette sélectivité apparaît extrêmement forte pour les étudiant·es africain·es, elle est également importante pour les étudiant·es asiatiques et sud-américains (et dans une bien moindre mesure pour les étudiant·es européens). Certes, les étudiant·es asiatiques et sud-américains bénéficient davantage de bourses françaises pour les premiers, de bourses octroyées par les gouvernements des pays d’origine pour les seconds. Néanmoins, il n’est pas certain que ces bourses permettent de compenser l’augmentation récente des frais d’inscription. En particulier, cette dernière peut avoir des effets dissuasifs pour les étudiant·es qui accordent une importance particulière au coût de la scolarisation, nombreux parmi ceux originaires de pays d’Asie. Les associations d’étudiant·es d’origine asiatique étaient d’ailleurs aussi présentes dans les mobilisations contre l’augmentation des frais de scolarité. Leur présence aux côtés des associations d’étudiant·es africain·es et d’Amérique Latine contribue ainsi à redessiner le paysage des mobilisations d’étudiant·es étranger·ères en France, longtemps occupé par les associations d’étudiants provenant des anciennes colonies françaises, d’Afrique en particulier.

A l’encontre des simplifications et idées reçues, notamment s’agissant des effets de politiques soi-disant « attractives » et « incitatives » pour les étudiant·es étranger·ères , les conséquences de ces politiques sur les mobilités étudiantes et sur leurs mutations profondes méritent d’être mieux documentées et connues par le plus grand nombre.



Notes