Désinfox #13

Oui, la pandémie de Covid-19 a accentué le racisme

En janvier et février 2020, après l’arrivée en France du Covid-19 et sa médiatisation puis l’hospitalisation des premiers patients sur le sol français à l’hôpital Bichat, de nombreux témoignages de vécus de discriminations et de racisme par les personnes d’origine asiatique se sont multipliés sur les réseaux sociaux, notamment avec le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus (1). La question du racisme et de l’antiracisme chez les Chinois et Asiatiques de France n’était pas nouvelle, plusieurs publications scientifiques l’avaient déjà analysée sous différents angles (2). 

Chloé Tisserand et Simeng Wang 


Ebola, Covid-19, etc. les crises sanitaires offrent toujours l’occasion aux partisans du non-accueil des étrangers d’argumenter contre eux. Ainsi, en 2020, faisant suite aux déclarations de l’ancien ministre de l’Intérieur italien et secrétaire fédéral de la Ligue du Nord, la présidente du Rassemblement national a demandé en France la fermeture des frontières. Elle a qualifié cette mesure de “bon sens”, en soulignant que “les virus ne s’arrêtent pas à la frontière mais ceux qui les portent peuvent être bloqués" (3). Dans son discours aux Français le 12 mars 2020, le président de la République a rappelé que les « virus n’ont pas de passeport” et appelé à éviter les replis nationalistes.

En définitive, les nations fermaient bel et bien leurs entrées et sorties (4) car la prévention du Covid-19 nécessitait de limiter les contacts physiques. En temps d’épidémie, les étrangers sont souvent vus comme des “virus symboliques”. Ce vieux réflexe que l’on retrouve dans les discours contemporains de l’extrême droite nous ramène par exemple au Moyen-Âge, lorsque les autorités avaient attribué aux juifs et autres figures considérées comme appartenant à la “familia diaboli” la responsabilité de la peste noire (5). La peur des maladies inconnues persiste dans les sociétés contemporaines et s’accompagne souvent de la désignation de bouc-émissaires, de “coupables”, au sein des groupes ethno-raciaux minoritaires ou déjà identifiés comme responsables d’autres maux sociétaux (délinquance, criminalité, etc.). Cela avait déjà été le cas dans les années 1990, où établissant un lien entre immigration et Sida, le Front national avait opéré une récupération politique en demandant un dépistage du sida à l’entrée des étrangers sur le territoire (6).

La stratégie adoptée par la France en réponse à la crise du Covid-19 a privilégié le confinement de tous pour la protection des plus vulnérables, à l’inverse de l’Angleterre dont la stratégie d’immunologie de groupe a eu pour effet de favoriser une sélection naturelle au détriment des plus fragiles. Pour autant, le Covid-19 a mis en exergue les injustices et les inégalités du modèle social français. Dans des situations d’extrême vulnérabilité, les exilés et les étrangers sans-papiers sont en proie à tous les dangers : leurs situations administrative, sociale, sanitaire sont d’autant plus fragilisées- en particulier pour ceux qui sont à la rue sans possibilité d’hygiène élémentaire et d’apports nutritionnels suffisants.

La concentration de populations dans des conditions de vie insalubres, comme c’est le cas pour les camps d’exilés, est par essence propice à l’apparition et la propagation de maladies et va à l’encontre des recommandations de la science médicale qui a participé à résorber les épidémies. Le concept de l’hôpital s’est ainsi construit au XVIIIe siècle pour lutter contre « l’entassement » et les normes actuelles de l’hôpital reposent sur ces fondements (7).

Des étrangers et des exilé·es en proie aux pandémies


Dans le but de lutter contre le Covid-19, les règles d’hygiène de base comme le lavage des mains ont été réactivées et des mesures obligatoires de confinement imposées à tous. Or comment peuvent-elles s’appliquer auprès d’une population mobile, fragilisée et désaffiliée socialement ? Les plus précaires sont laissés à la marge de cette protection sanitaire, leur entassement empêche ladite “distanciation sociale“ et, surtout, le non-accueil accroît le risque de propagation du virus. L’État,  au moment moment du covid, répondait très insuffisamment à cette exclusion en mettant en place des mesures ponctuelles, comme par exemple la diffusion de messages préventifs traduits en vingt langues, la mise en place d’un live chat (8) pour répondre aux questions des réfugiés durant cette période de crise, ou encore par la mise à disposition de savon, comme on l’a vu à Calais, mais qui, d’après les associations, était loin d’être adapté aux situations (9).

L’épidémie révèle en effet nos faiblesses, dont fait partie le non-accueil des demandeurs d’asile, des mineurs étrangers « non accompagnés « et des migrants (10). Conséquence inattendue de la pandémie, ce « non-accueil » s’est retourné contre les Européens, notamment des Français qui ont été interdits d’entrée dans la majorité des pays du monde (et pointés du doigt pour ceux qui se trouvent bloqués à l’étranger comme résidents ou touristes) : « l’Europe est la nouvelle Chine » entend-on par exemple du côté des États-Unis (11).

Depuis l’apparition de plusieurs foyers de covid-19 en Europe, les discours racistes anti-asiatiques cèdent ainsi progressivement la place aux discours discriminatoires envers les migrants de toutes origines, et envers les étrangers, immigrés ou pas, et désormais, envers toute personne ayant connu une mobilité internationale. Le virus n’a pas de passeport, ni de nationalité. Il nous ramène ainsi toutes et tous à notre simple humanité (et vulnérabilité) face à laquelle ce qui nous distingue et nous protège, ou pas, ce sont les inégalités sociales en matière d’accès aux soins, à l’information, au logement, etc. et les discriminations qui persistent : le Covid-19 est ainsi une loupe qui met cruellement en exergue nos très fortes inégalités, notamment face au travail et aux conditions de logement.




Notes