Désinfox #10

Non, le coût de prise en charge des mineurs non accompagnés en France n’est pas de deux milliards d’euros

Le sujet des mineurs non accompagnés (MNA) fait régulièrement l’objet de déclarations politiques, largement relayées par certains médias, dénonçant le coût de prise en charge de ces jeunes pour les Conseils départementaux au titre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dont le montant s’élèverait à 2 milliards d’euros. Ces déclarations relèvent largement de l’infox. Cette désinfox s’appuie sur les chiffres disponibles en 2020.

Laurent DELBOS, responsable du plaidoyer pour l’association Forum réfugiés-Cosi


Le coût de prise en charge de ce public sur une année, sur l’ensemble du pays, pourrait être calculé à travers une remontée statistique par chaque département, des sommes consacrées localement à l’accueil et à la prise en charge des MNA. La Cour des comptes indiquait cependant dans une décision du 8 octobre 2020 sur « la prise en charge des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés » que « l’absence de comptabilité analytique dans la majorité des départements les empêche (…) de distinguer ce qui relève des MNA dans leurs dépenses ». Cette piste n’est donc pas pertinente et les déclarations qui citent directement les départements comme source de ce montant ne le sont pas non plus.

Le coût total peut être calculé, ou du moins estimé, à partir des données qui le composent. Il s’agit de multiplier le nombre de MNA accompagnés chaque jour de l’année par l’ASE, par le prix de journée moyen de prise en charge de ces jeunes. Mais là encore, les données sont approximatives ou incomplètes sur ces deux aspects.

En tout état de cause, il est erroné d’affirmer que le coût total serait de 2 milliards d’euros puisque cela revient à considérer que 40 000 MNA sont pris en charge chaque jour par les Conseils départementaux pour un prix de journée moyen de 137 € : deux données largement surévaluées.

Détail architectural du Conseil départemental d'Indre et Loire un jour d'hiver ©StockLib /Photo libre de droit

Combien de MNA sont pris en charge sur l’ensemble de l’année par les Conseils départementaux ?

Il convient tout d’abord de savoir combien de mineurs non accompagnés sont pris en charge sur l’ensemble d’une année, par les Conseils départementaux. Or, nous ne disposons pas de données précises à ce sujet. D’après les dernières données statistiques rendues publiques, nous connaissons :

Un tableau des données 2020 de la mission MNA du ministère de la Justice fait état de 9 501 mineurs confiés aux Conseils départementaux par décision de justice en 2020, soit le plus bas niveau de ces dernières années (-43% par rapport à 2019, où 16 760 MNA avaient été admis à l’ASE).

Ces 9 501 MNA ne représentent pas l’ensemble des jeunes suivis tout au long de l’année : certains sont arrivés en cours d’année, ou sont repartis cette même année, et l’ASE suit également des jeunes admis les années précédentes.

Le calcul de la clé de répartition nationale (1) se fonde en partie sur le « nombre de mineurs effectivement pris en charge par le département » au 31 décembre de l’année précédente (art. R.221–13 CASF). Chaque Conseil départemental est ainsi tenu de faire remonter ces chiffres auprès du ministère de la Justice, qui doit ensuite publier la clé de répartition au 15 avril. Cependant, la décision fixant chaque année « les objectifs de répartition proportionnée des accueils de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille » mentionne le résultat du calcul de la clé de répartition (exprimé en pourcentage) sans préciser les données ayant mené à ce résultat (parmi lesquelles, le nombre de MNA pris en charge par les Conseils départementaux au 31 décembre).

De nombreuses approximations sont donc souvent citées pour évoquer cette donnée. Le chiffre de 40 000 MNA pris en charge en France est très souvent cité, alors qu’il ne repose sur aucune donnée connue. Il est avancé depuis plusieurs années par l’Assemblée des départements de France (ADF) : dès novembre 2018 sans même attendre la fin de l’année, puis en juin 2019 avec un chiffre porté cette fois à 41 000 et plus récemment en octobre 2020 dans une « fiche-info » publiée sur son site Internet qui évoque « 40 000 mineurs pris en charge en fin d’exercice ».

Malgré l’absence de communication du ministère de la Justice sur les effectifs de MNA dans chaque département, et les approximations répétées de l’ADF à ce sujet, les documents parlementaires publiés dans le cadre du projet de loi de finances 2021 permettent de prendre connaissance de cette statistique (voir notamment l’avis du député Brahim Hammouche publié le 28 octobre 2020 ou la réponse à une question parlementaire par le ministère de l’Intérieur, publiée le 22 septembre 2020) : au 31 décembre 2019, les Conseils départementaux accueillaient 31 009 mineurs non accompagnés. Cela représente une hausse de 9 % par rapport au 31 décembre 2018, date à laquelle 28 411 MNA étaient pris en charge par les Conseils départementaux.

Cette donnée portant sur les MNA pris en charge au 31 décembre n’est pas disponible pour 2020. On ne peut la calculer en additionnant le chiffre 2019 (31 009) aux entrées 2020 (9 501) puisque de nombreux jeunes sortent par ailleurs chaque année de l’ASE (notamment lorsqu’ils deviennent majeurs).

On peut donc prendre pour hypothèse haute, en considérant qu’autant de jeunes sont sortis de l’ASE en 2020 que de jeunes y sont entrés, que chaque jour de l’année 2020 environ 31 000 MNA étaient pris en charge en France. Cette donnée ne constitue qu’une hypothèse, pour apporter des éléments de réponse à la question de l’évaluation du coût. Reste à savoir quel prix de journée était applicable à l’ensemble de ces enfants en 2020.

Déterminer le prix de journée moyen des MNA pris en charge par les Conseils départementaux

En l’absence de remontée précise des départements, il n’est pas possible de connaître le prix de journée moyen appliqué à la prise en charge de ces jeunes, les modes d'accueil étant très divers au sein des différents départements.

Dans son rapport d’activité 2019, l’association InfoMIE a listé les prix de journée constatés dans les cahiers des charges des appels à projet relatifs à des dispositifs pour MNA : sur les 33 appels à projets analysés, l’essentiel des prix de journée sont compris dans une fourchette variant de 40 à 80 €, et seuls cinq proposaient un prix de journée supérieur à 100 €.

La lecture des rapports institutionnels reportant le coût de la prise en charge des MNA dans certains départements (voir plusieurs de ces rapports sur le centre de ressources InfoMIE) confirme que ce public est généralement accueilli dans les dispositifs les moins coûteux de l’ASE. À titre d’exemples :

L’affirmation figurant dans la « fiche-info » précitée de l’ADF publiée en octobre 2020, selon laquelle « le coût moyen de la prise en charge d’un MNA au titre de l’ASE (…) est estimé en moyenne à 50 000€ par mineur et par an » est donc erronée puisque cela supposerait un prix de journée moyen de 137 € pour l’ensemble des MNA pris en charge en France.

Enfin, il convient de souligner que la prise en charge financière des MNA est assurée en partie par l’État au titre d’un mécanisme de compensation des sommes engagées par les Conseils départementaux pendant la phase d’évaluation d’une part, et du versement de plusieurs millions d’euros chaque année pour la prise en charge pérenne par les services d’ASE. La loi de finances 2021 prévoit ainsi 120 millions d’euros en ce sens dans le budget de l’État, contre 162 millions d’euros en 2020.

En conclusion

Dans sa publication précitée du 8 octobre 2020, la Cour des Comptes soulignait « la méconnaissance des coûts réels des dispositifs et procédures liés aux MNA, qui constitue une lacune grave tant pour piloter cette politique que pour la gérer de manière efficiente ». Il n’est donc pas possible aujourd’hui de connaître précisément le coût de la prise en charge des MNA pour les départements.

Au regard des données disponibles évoquées précédemment, une estimation haute basée sur l’accueil quotidien de 31 000 MNA pour un coût de journée moyen de 90 €, représenterait environ 1 milliard d’euros pour les Conseils départementaux.

Soit deux fois moins que le coût de 2 milliards d’euros régulièrement repris. Ajoutons enfin que cette estimation (probablement très à la hausse) doit être mise en perspective avec d’autres montants : les dépenses des départements s’élevaient à 83,7 milliards d’euros en 2020 d’après la direction générale des collectivités locales du ministère de la Cohésion sociale, et l’Aide sociale à l’enfance à elle seule a coûté 8,3 milliards d’euros en 2019 d’après la direction de la recherche, des études et de l’évaluation statistique.



Note