Désinfox #09

Non, l’obtention de la nationalité française pour toutes les personnes étrangères n’est pas automatique

L’acquisition de la nationalité française par les personnes étrangères est régulièrement dénoncée par des personnalités politiques nationalistes qui la jugent « automatique ». Marine Le Pen déclarait ainsi en février 2021 sur RMC que, si elle était élue en 2022, l’une de ses premières mesures serait de changer le code de la nationalité « pour que la nationalité française s'hérite ou se mérite ». Elle oppose ainsi indirectement l’attribution de la nationalité française par filiation et l’acquisition de celle-ci, dont le droit du sol. Si le droit « réel » est plus complexe, les procédures qui permettent aux personnes étrangères de devenir françaises ne leur garantissent aucunement d’obtenir la nationalité française, qu’elles soient nées à l’étranger ou en France.  

L’attribution de la nationalité française par filiation

L’immense majorité des Français hérite automatiquement de la nationalité par filiation. D’après le code de la nationalité, « est Français, l’enfant dont l’un au moins des parents est Français » c’est le « droit du sang ». 

Dans une moindre mesure, l’attribution de la nationalité française par filiation peut également résulter du « double droit du sol ». Cette disposition du code la nationalité prévoit qu’« est Français, l’enfant, né en France, dont l’un au moins des parents est né en France ». Cette disposition a une conséquence pratique importante : elle simplifie la preuve de nationalité. Il suffit en effet de produire un document mentionnant les lieux de naissances des parents. Néanmoins, elle concerne très peu de personnes.

Les dénonciations de « laxisme » quant à l’obtention de la nationalité française ne concernent pas cette majorité de Français qui héritent de leur nationalité mais bien la minorité, née étrangère, en France ou dans un autre pays.

L’acquisition de la nationalité française

Trois voies principales permettent à une personne étrangère d’acquérir la nationalité française. Deux d’entre-elles sont présentées ou perçues comme « automatiques », par opposition à la dernière, la « naturalisation » proprement dite. En réalité, toutes ces voies supposent d’accomplir des démarches administratives et de remplir un certain nombre de conditions. Il n’y a donc pas d’« automaticité ».

Par le droit du sol

La première voie, le « droit du sol », concerne les enfants étrangers nés en France de parents étrangers et immigrés (c’est-à-dire qui ne sont eux-mêmes pas nés en France). Ces enfants obtiennent la nationalité française à leur majorité s’ils résident en France lors de leurs 18 ans, et ont eu leur résidence habituelle sur le territoire français pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. La nationalité peut s’obtenir de façon anticipée, entre 13 et 18 ans, aux mêmes conditions. 

Cette disposition explique que très peu d’enfants obtiennent la nationalité par double droit du sol. En effet, si leurs parents sont nés en France et y résident, ils auront sans doute déjà obtenu la nationalité française à leur majorité. 

Le droit du sol ne peut être qualifié « d’automatique » puisqu’il suppose de remplir les conditions de naissance et de résidence en France. En revanche, ce mode d’acquisition est « de plein droit », c’est-à-dire qu’il ne requiert pas une décision administrative ou judiciaire, comme c’est le cas pour les deux autres voies d’acquisition de la nationalité présentés ci-dessous. 

Par déclaration

La deuxième voie, parfois appelée « acquisition par déclaration », concerne principalement les personnes mariées à une personne elle-même française. Si elle semble « automatique », en réalité certaines conditions doivent être remplies dont les principales sont : 

Il s’agit aussi de constituer un dossier administratif conséquent comportant plus d’une quinzaine de pièces obligatoires. Quelle que soit la qualité du dossier, l’administration effectue une enquête et peut refuser la nationalité « pour défaut d’assimilation autre que linguistique ».

Par décret (de naturalisation)

La troisième voie est appelée « acquisition par décret de naturalisation » ou « par décret » en abrégé. De fait, les conditions et pièces du dossier sont assez similaires à ce qui est requis pour l’acquisition par mariage. 

Il est explicitement énoncé que la postulante ou le postulant doit satisfaire de nombreux critères, dont la connaissance de la langue française ainsi que de l’histoire et de la culture française, et l’adhésion aux valeurs républicaines. Elle ou il doit avoir son « centre d’intérêt matériel » en France, c’est-à-dire concentrer l’essentiel de ses intérêts personnels en France, ce qui est apprécié au cas par cas. Son insertion professionnelle sera aussi décisive dans l’appréciation du dossier. En général, cinq ans de résidence en France sont requis. 

De l’exposé du droit à la pratique de celui-ci

L’exposé des règles législatives et réglementaires laisse penser qu’obtenir la nationalité française serait une question de respect de règles claires. Pour vérifier cela, quelles sont les données disponibles ? Le ministère de l’Intérieur dispose de données sur les demandes d’acquisition de la nationalité française mais celles-ci ne sont pas disponibles publiquement. Sont en revanche disponibles les flux d’obtention de la nationalité française et les caractéristiques sociodémographiques de celles et ceux qui l’ont obtenue. Ces deux aspects, mesurables, permettent d’apprécier ce qui est réellement advenu.

Combien obtiennent la nationalité française ?

Chaque année, le ministère de l’Intérieur compile des données relatives aux acquisitions de la nationalité française, qui s’opposent à l’attribution par filiation dont il n’y a pas de données précises. En janvier 2021, le ministère de l’Intérieur a publié un bilan incomplet (acquisitions hors droit du sol, enregistrées par le ministère de la Justice), incluant les données jusqu’à 2020. Les dernières données exhaustives sont celles de 2019.

Le flux annuel des acquisitions de la nationalité française est d’environ 110 000 personnes par an depuis 20 ans, avec de fortes fluctuations (voir Graphique ci-dessous).

Ces fluctuations d’acquisition, au gré de l’évolution du contexte politique et des préfectures en charge de l’instruction des demandes, démontrent que l’acquisition de la nationalité, par mariage ou par décret, dépend largement des orientations et capacités (au regard des données 2020) définies par l’administration.

S’agissant du droit du sol, le graphique nous montre qu’il fluctue très peu. Sur la base des données connues des trois dernières années, un peu moins de 30 000 personnes en moyenne obtiennent chaque année la nationalité par cette voie. 


Les acquisitions par déclaration (mariages) représentent un flux annuel moyen de l’ordre de 22 000. Ces personnes obtiennent en moyenne la nationalité après huit à neuf ans de présence en France, donc une période deux fois plus longue que le « minimum » requis par la loi », fixée à quatre ans. 

Enfin, un peu moins de 50 000 personnes ont obtenu, toujours en moyenne sur les trois dernières années, la nationalité par décret de naturalisation. La crise sanitaire ne fait qu’amplifier une tendance à la baisse sensible depuis quelques années. Si le délai officiel avant de pouvoir demander la nationalité est de cinq ans, la durée moyenne de présence en France pour ces personnes, entre leur arrivée en France et leur naturalisation, est de 17 ans (Bouvier, 2018).

Qui sont les personnes immigrées qui deviennent françaises ?

D’après le dernier recensement de 2017, parmi les personnes immigrées (1), 40 % ont obtenu la nationalité française. Cette proportion baisse tendanciellement depuis quelques années. Cela situe la France dans une moyenne européenne concernant l’acquisition de la nationalité par les personnes immigrées, mais cela reste loin des pratiques observées dans d’autres pays « d’installation » comme les Etats-Unis, le Canada ou encore l’Australie (Bouvier, Coirier, 2016). 

Afin d’acquérir la nationalité française par déclaration (mariage) ou par décret (naturalisation), la maîtrise du français s’avère déterminante ou, a contrario, quand elle est absente, rédhibitoire. Ainsi, davantage de personnes arrivées jeunes et donc scolarisées en France, ou qui maîtrisent la langue, sont naturalisées : il est quasiment impossible d’obtenir la nationalité si l’on ne dispose pas d’un niveau « basique » (le niveau B1 est requis). Un effet de groupe s’observe : obtenir la naturalisation est plus fréquent lorsque le conjoint l’a obtenu. 

Outre ces constats, l’acquisition de la nationalité par les personnes immigrées suit aussi des raisons géopolitiques : les ressortissants d’anciennes colonies et/ou de pays ayant connu des crises humanitaires majeures sont privilégiées. Inversement, la complexité administrative dissuade manifestement les ressortissants des pays de l’UE de demander la nationalité française, qui ne confère que peu de droits supplémentaires au-delà de la citoyenneté européenne. 

D’autres déterminants viennent ensuite : le sexe (davantage de femmes sont naturalisées par exemple), la catégorie socioprofessionnelle (élevée), le diplôme (élevé), le statut d’emploi (en emploi, de préférence salarié). Ces constats confirment l’attention portée par l’administration à l’insertion professionnelle. Une fois prises en compte toutes les caractéristiques sociodémographiques connues, des variations significatives s’observent d’un département, donc d’une préfecture, à l’autre.  

Ainsi, les personnes immigrées ne sont pas automatiquement naturalisées après leur arrivée en France. La quasi-automaticité – puisqu’il y a une condition de résidence – ne concerne que les enfants nés en France, qui ne sont pas immigrés, de parents étrangers. 


Notes

Pour aller plus loin

Bouvier G., « Les déterminants de l’acquisition de la nationalité française », Journées de méthodologie de la statistique de l’INSEE, Juin 2018. Article complet et synthèse littéraire.

Bouvier G. et Coirier E., « Les acquisitions de la nationalité française de 1945 à nos jours », Infos Migrations N°84, mai 2016.  

Données officielles sur l’immigration, dont l’accès à la nationalité française, à jour au 6 décembre 2022 accessibles sur le site du ministère de l’Intérieur.

Pour une perspective internationale sur la question de la naturalisation se reporter à : Gathmann C., « Naturalization and citizenship : who benefits ? », IZA Word of Labor, Février 2015.